Fungi, un monde sans fin

Mario Del Curto
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mario curto
Ort
Nuithonie
Ausstellungsdaten
Vom bis

« Nous sommes tous des exilés. Dans chaque phacochère, il y a des petits bouts d’hommes et des morceaux de pommes, des bouts de pyramides, des bouts d’hippopotames. Le vent n’est là que pour l’échange d’atomes entre l’arbre et la grenouille, entre la main tendue et le souffle du buffle. Nous sommes poussières d’étoiles et le monde est un tout.»

Donnez un carnet de route à Mario Del Curto, indiquez-lui des points stratégiques à visiter, des personnes à rencontrer, des événements à ne pas manquer. S’il fait un reportage, il y a fort à parier que très vite, il détournera son attention des sites envisagés et se mettra en quête de tous les chemins de traverse possibles pour chercher ailleurs. Chercher un sens, une vibration ; un ailleurs qui, parfois, se situera tout à côté. 

Cette démarche intuitive évoque celle de l’artisan qui, connaissant ses matériaux, composent avec eux comme un musicien au clavier. D’ailleurs, jamais Mario Del Curto ne se présente comme « photographe » ou « réalisateur ». Il dit simplement : « Je fais des photos ». Si l’on n’y prenait garde, on pourrait croire à un passe-temps ou à un simple violon d’Ingres. C’est pourtant tout l’inverse. Chez ce vaudois d’origine italienne, né dans une maison foraine au cœur du Jura suisse, la photo est une seconde nature. Elle ne l’a plus quittée depuis qu’à 14 ans, son père lui offrit son premier appareil. 

Photojournalisme, plasticisme, documentaire… on aurait peine à classer ses images. D’ailleurs, elles changent de statut suivant les contextes et les causes à défendre. Objets d’art lorsqu’exposées en musées ou galeries, elles font office de documents d’archive ou de recherche lorsqu’il s’agit d’enquêter. Bien souvent, en vérité, elles sont plutôt de véritables manifestes citoyens et politiques. Car, pour ce militant de la première heure, la photo est avant tout témoignage et vecteur de pensée. Être autodidacte, partir de peu de choses, lui a ouvert « un champ permanent d’apprentissage et d’envies » et grâce à ce médium, chaque jour, il s’oppose, comprend, dénonce, enchante et réinvente le monde.

Parmi ses sujets de prédilection, l’Art brut, découvert dans les années 1980. Ce fut pour lui comme un électrochoc : au bord des routes, en situation liminale, existaient des créateurs et créatrices autodidactes produisant des œuvres puissamment poétiques et contestataires sans que l’histoire n’en mentionne jamais l’existence. Pendant des dizaines d’années, il leur consacra son temps libre, campa leurs portraits comme ceux des plus grands metteurs en scène, et révéla au public leurs environnements les plus extravagants. 

Alors pourquoi avoir ralenti sa quête de ces folies plastiques et d’artistes singuliers pour arpenter les champs et les jardins urbains, les laboratoires de biologie végétale et les cimetières du monde ? Par hasard, par lassitude, par circonstance ? Non. Si l’on remonte dans ses archives les plus lointaines, il n’est pas une semaine sans photographie de nature, de plantes, de champignons... 

En fait, ce travail sur le vivant, aujourd’hui Fungi, un monde sans fin, était en gestation depuis longtemps, aussi bien dans l’esprit que sur les images, ses images constituant une étoffe en perpétuelle formation. Le graphiste Werner Jeker, devenu expert dans leur mise en récit, les compare à un train en marche : « Nous, on s’arrête à une certaine station. Cette histoire doit être bouclée à un certain moment. Mais, pour lui, elle n’est jamais bouclée ». L’objectif : raconter cette grande histoire du lien entre l’Homme et le végétal comme se déroule la vie, avec sa part d’imprévus, de contrastes et de contradictions, sans trop démontrer ni sermonner, pour mieux laisser passer la lumière dirait Audiard

Découvrant ces images, le visiteur peut construire son propre itinéraire, répondre à ses propres questionnements, avec, en latence, des fils rouges proposés. On pense à la disparition de la biodiversité et au désastre écologique actuel, à la perte de sens dans certains de nos rapports à la nature, mais aussi à la force de l’art, de la science et du savoir agricole pour inventer de nouveaux possibles. « Ce travail est né de mes inquiétudes, dit encore l’auteur. J’ai le sentiment que le monde se trouve à un moment charnière de son évolution. Ce que nous appelons progrès se révèle être un obstacle à l’équilibre naturel, une menace sur les micro-organismes, mis à mal par l’agrochimie, et pourtant fondements de la vie ». 

Revenant à l’Art brut et à ses matériaux de fortune, c’est enfin l’idée que l’on peut inventer à partir du presque rien. Concrètement, le photographe vise à transmettre un autre regard sur notre civilisation à travers sa relation au végétal et pose cette question centrale : « que prend-on à la terre et que lui rend-on ? ». 

Céline Muzelle
Historienne d’art
Membre de l’association Mordache

Horaires de l’exposition
du lundi au vendredi de 10h à 15h
et tous les soirs de représentation dès 18h

Lieu 
Nuithonie, rue du Centre 7
1752 Villars-sur-Glâne

Commissaire de l'exposition Thierry Ruffieux
 


Mario Del Curto est un photographe basé à Sergey, en Suisse romande. 
Né en 1955, il débute la photographie en autodidacte dans les années 1970-1980 et couvre les mouvements sociaux de l’époque. Photographe indépendant dès 1980, il travaille pour le théâtre et la danse, développant un style original dans la photographie de scène. Dès 1983, il se passionne pour l’Art brut et y consacre de nombreuses expositions, ouvrages et films. 
Depuis quelques années, il explore la relation de l’homme au végétal. Son regard se porte sur les jardins ouvriers et outsider, sur les jardins botaniques, les zones urbaines, les laboratoires de recherche scientifique et les stations agronomiques. Lors de plusieurs voyages en Russie, il effectue le premier reportage photographique sur l’Institut Vavilov et ses 12 stations expérimentales, qui fait l’objet du livre Les graines du monde, lauréat du prix Redouté en 2018. Le photographe a exposé dans le monde entier et ses images sont présentes dans plusieurs galeries et musées internationaux, notamment le Musée de l’Élysée et la Collection de l’Art Brut à Lausanne, dont il est membre du conseil consultatif. Il est aussi consultant et commissaire associé de plusieurs expositions et festivals.